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Interview Arnaud Desjardins

Arnaud Desjardins

Extrait du livre de la canadienne Colette Chabot qui a interview Arnaud Desjardins pour la télévision communautaire de Montréal.
A moitié Sage, édition Quebecor 1997 : Interview Arnaud Desjardins : "La voie consiste beaucoup plus à perdre ce qu’on a en trop qu’à acquérir ce qu’on n’a pas !"

Colette Chabot : Vous êtes considéré comme un éveillé. J’aimerais que vous nous disiez ce que c’est que l’éveil, et que vous nous parliez de l’état dans lequel vous êtes en permanence. Je trouve qu’« éveillé » est un bien grand mot, tout comme les mots « libéré » ou « illumination », etc. J’aime mieux employer des mots plus simples. Il y en a un qui a beaucoup de sens pour moi, c’est le mot « guéri ».

À 24 ans, j’ai passé un an et demi de ma vie en sanatorium. J’en suis sorti complètement guéri. Je sens une réelle transformation dans mon existence, c’est sûr, sinon ce serait absurde d’écrire les livres que j’écris ou de porter les témoignages que je porte. Si je n’avais pas eu personnellement la preuve que cette démarche, dite « spirituelle », peut conduire quelque part, je ne témoignerais pas.

Ce que je ressens avant tout, c’est la gratitude pour tous ceux qui m’ont aidé et l’impression d’avoir trouvé ma place dans un certain monde, qu’on peut peut-être appeler, en effet, celui de la sagesse. C’est l’impression de ne plus du tout être seul. Je pourrais vous répondre en fonction de ce que je vois de souffrance chez les uns et les autres. L’impression de la solitude est très cruelle pour la plupart des gens. Même si je me trouvais seul, physiquement seul, ou même dans un milieu qui m’est hostile — ce qui peut se produire —, je n’éprouverais pas cette souffrance liée à la solitude.

C’est déjà un premier point : ne plus jamais se sentir seul. Deuxième point, c’est une stabilité, ne plus avoir de moment de tristesse, de moment de désarroi, de moment de doute. Je peux dire, sincèrement, que depuis vingt ans je ne me suis jamais réveillé sans être en pleine forme, que je ne me suis jamais couché un peu triste. Il y a là quelque chose qui est maintenant stabilisé. Mais cela a pris du temps.

Colette Chabot : En lisant vos livres, on peut se rendre compte, en effet, qu’à partir du moment où vous avez rencontré votre maître, il a fallu neuf ans d’effort. Pourtant, un travail intense avait été poursuivi pendant toutes les années qui ont précédé cette rencontre. On a le sentiment que quelque chose d’unique s’est produit à un moment, à une heure précise et qu’on pourrait quasiment vous demander à quel jour, à quelle heure, à quelle minute « la transformation » s’est produite.

C’est vrai. Il y a une longue maturation. On peut aussi être plus ou moins doué ! Des problèmes psychologiques au niveau ordinaire, plus ou moins importants, des insatisfactions, des divisions, des refus intérieurs peuvent retarder ce moment. Cela a pris beaucoup de temps. Ma recherche a été conduite de plus en plus méthodiquement. À l’âge de 39 ans, je pratiquais le yoga et la méditation depuis 16 ans déjà. Je faisais des séjours en Inde. J’avais aussi été dans ce qu’on appelait les groupes Gurdjieff, juste après la mort de celui-ci.

Puis j’ai rencontré Swâmi Prajnânpad, un maître indien très peu connu du public. Il parlait parfaitement anglais, aussi ai-je pu avoir avec lui des entretiens approfondis, quand j’étais en Inde.

À cette époque, la maturation s’est encore poursuivie dans l’existence, au cour des problèmes, des difficultés. J’ai eu une impression d’intensification de toute mon existence. Vu du dehors, certaines personnes pouvaient penser que je m’éloignais beaucoup de la vie spirituelle, si on la considère uniquement comme silence, recueillement et méditation. Je m’insérais de plus en plus dans la vie sous tous ses aspects, mais avec une nouvelle compréhension. Avec surtout une certaine manière d’accepter complètement tout ce qui était l’aspect difficile, douloureux, défavorable, désagréable de l’existence. Être beau joueur là, ne plus tricher !

Et puis un jour, ce maître m’a dit une simple parole alors que j’étais en face de lui. Il n’y a rien eu d’extraordinaire, cette parole n’est pas en soi tellement mystérieuse. Je lui parlais une fois de plus de la différence entre « être et avoir », un thème qui me touchait beaucoup à l’époque. Il m’a alors dit : « Être, c’est être libre d’avoir ». C’est tout.

Il s’est trouvé que cette parole a fait d’abord lever en moi un refus immense : « Non, jamais je ne lâcherai tout le monde de l’avoir » Et puis, soudainement, cette impression de sauter dans le vide intérieurement : « D’accord ». Et je peux dire, c’est vrai, que plus rien n’a été exactement pareil à partir de cette minute-là. Dans les jours qui ont suivi, j’ai eu l’impression peu à peu de reprendre pied sur terre, dans son ashram.

Puis, je suis rentré en France, j’ai repris ma vie habituelle encore pour quelque deux ou trois ans. À l’époque, je travaillais à la télévision, c’était mon métier. Donc, il y a bien eu, en effet, une certaine minute où ce qui  s’était longuement préparé s’est tout d’un coup cristallisé.

Colette Chabot : Cet état dans lequel vous êtes semble être un état où vous ne cherchez plus. Avez-vous quand même certaines questions sur le sens du monde et des choses ? Ou même sur l’état dans lequel vous vivez ?

Pas vraiment. Mais ne l’entendez pas comme une perte d’intérêt pour l’existence. Au contraire. Si vous saviez combien j’ai posé de questions à des maîtres tibétains, à des maîtres hindous ! Maintenant, je ne sens plus la nécessité de poser des questions.

Par contre, ce qui est certain aussi, c’est qu’il y a un intérêt beaucoup plus grand pour tous les aspects, disons, ordinaires de l’existence. Autrefois, il me semblait que ce qui était important, c’était les minutes exceptionnelles ou de rencontrer des gens particulièrement intéressants. Et maintenant, sans aucun doute, je peux témoigner du fait que toute l’existence, même au niveau le plus ordinaire, si j’ose employer ce mot, a une richesse qu’elle n’avait pas autrefois.

Donc, le fait de ne plus avoir de doutes ou de questions à poser n’est pas du tout ressenti comme une diminution de l’intensité de la vie. Bien sûr, quand je dis que je n’ai plus de questions à poser, il y a naturellement des milliers de choses que j’ignore et, si j’ai l’occasion de m’informer de n’importe quel thème, c’est toujours avec intérêt et avec curiosité. Mais ce n’est plus vital de poser des questions.

Colette Chabot : Je vous ai entendu dire que, dans l’état d’éveil dans lequel vous êtes, vous ne saviez plus s’il s’agissait d’une absence ou d’une présence. Auriez-vous encore une sorte de questionnement personnel pour préciser ce que sont véritablement les choses ?

Non, la question c’est : « Quelle est la meilleure manière d’exprimer ? »

Colette Chabot : Vraiment ?

Alors oui ! C’est une des questions que je me pose beaucoup. Comment essayer de transmettre ce que j’ai reçu, ce qui me semble si précieux ? Comment partager une expérience qui, pour moi, est tout à fait convaincante ? Quels sont les mots qu’on peut employer ? Est-ce qu’il s’agit d’un état de « présence » ? C’est un terme qu’on pourrait employer. Est-ce un état d’« absence » ? L’état d’absence, c’est déjà un peu plus difficile à comprendre : il s’agit d’un effacement intérieur du moi, ou de l’ego, ou de la revendication égocentrique.

La voie consiste beaucoup plus à perdre ce qu’on a en trop qu’à acquérir ce qu’on n’a pas. C’est une phrase difficile à entendre tant elle contredit l’expérience ordinaire : il y a cela qui me manque, ce talent que je n’ai pas, cette capacité que je n’ai pas; si je pratique, si je m’exerce, je vais l’acquérir.

Alors que sur le chemin spirituel, il s’agit avant tout de perdre : perdre des habitudes, des habitudes émotionnelles, mentales, perdre des illusions — il y en a un bon nombre à perdre — et fondamentalement, perdre cette identification fondamentale à moi. Moi, dans le cas particulier, ce serait « moi, Arnaud Desjardins ». Donc, c’est vrai qu’on peut s’exprimer en parlant de présence et que c’est juste aussi de s’exprimer en parlant d’absence ou d’effacement intérieur.

Colette Chabot : En vous écoutant, il y a une question qui surgit. On sent que vous avez trouvé une paix. C’est ce que nous cherchons tous. Alors, quel serait le conseil que vous donneriez à quelqu’un qui serait sur le point de commencer une démarche comme celle que vous avez entreprise il y a plusieurs années, à ceux qui ne veulent pas se perdre ou à ceux qui ne veulent pas faire le tour de toutes les vitrines du matérialisme spirituel qui abonde aujourd’hui ?

Le conseil que je donnerais, c’est de trouver quelqu’un qui puisse le guider et ne pas compter uniquement sur ses dons, même si on en a, sur son intuition et sur ses lectures. S’engager, si possible, dans une voie qui a fait ses preuves, par exemple le bouddhisme tibétain, ou le bouddhisme zen, ou telle ou telle autre voie. Savoir qui a été le maître de celui auprès de qui on veut s’engager. Poser des questions sur la formation qu’il a reçue. De quelle tradition se réclame l’enseignant qui nous intéresse ?

Des réponses claires à ces questions offrent quand même certaines garanties. Ensuite, il faut faire confiance à quelqu’un et, comme on le dit, il faut suivre une voie particulière, avec une méthode. La dispersion ne nous permettra jamais de toucher un niveau suffisamment profond en nous.

Maintenant, à quelqu’un qui me dirait : « Mais qu’est-ce qu’il faut faire pour aller vers la paix ? », la réponse est très évidente. Pour trouver la paix, il faut cesser d’être en conflit, donc regarder où, dans quel domaine, extérieurement et avec quel aspect de moi-même est-ce que je suis en conflit.

Nous ne nous rendons pas toujours compte que tout en aspirant à la paix, nous fabriquons nous-même le conflit en vivant dans le refus, le non à ce qui est, les tensions. On ne peut pas trouver la paix sans faire la paix. C’est évident !

Colette Chabot : Si quelqu’un réussit à trouver le guide ou la personne qui peut l’aider, ça ne veut pas dire, pour vous, qu’il a enfin trouvé et qu’il va s’asseoir sur ses lauriers avec ce guide ?

Mais non, au contraire, le travail que l’on appelle « ascèse » commence alors.

Étymologiquement, ascèse ne signifie pas « vivre sur une planche à clous ». Cela signifie « s’exercer ». Un ascète, c’était quelqu’un qui s’était beaucoup exercé.

Une fois que vous avez trouvé l’enseignant, si je puis dire, le professeur, il va falloir faire les gammes pendant des années et des années. Ah oui !

Colette Chabot : Dans votre livre En relisant les Évangiles, vous dites : « J’ai approché des sages, c’est ce qui m’a sauvé ». Comme les sages ne courent pas les rues, la vérité peut-elle s’imposer à nous d’elle-même ?
La vérité ne cesse pas de s’imposer à nous. La vérité, c’est ce qui est, à tous les niveaux, depuis le niveau de surface jusqu’au niveau le plus profond. Mais nous ne cessons pas en même temps de la refuser cette vérité, dès qu’elle ne nous convient plus. Voilà. On peut prendre appui sur la réalité ou la vérité en donnant à ce mot un sens très simple.

Mon propre gourou m’avait raconté une petite histoire tout à fait éloquente à ce propos. À l’époque de sa propre recherche, comme beaucoup d’Indiens, il courait ici et là à la recherche du Maître, du Sage, de la Vérité. Il rencontra alors un ascète qui vivait sous un arbre. Il demanda à ce yogi : « Qu’est-ce que la vérité ? » et le yogi lui répondit : « La vérité, c’est que je suis assis sous cet arbre et que vous êtes assis en face de moi ». J’ai compris, quand Swâmiji m’a raconté cette histoire, qu’il voulait me dire de bien poser les pieds sur terre dans ma recherche.

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