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Hommage à Peter Brook pour sa contribution à la spiritualité contemporaine 

Peter Brook

Le metteur en scène Peter Brook est mort samedi 2 juillet 2022 à l’âge de 97 ans.

D’origine britannique, passionné de théâtre, installé en France depuis 1974, Peter Brook a mis en scène près de 100 productions au cours de sa longue carrière : Ibsen, Dostoïevski, Anouilh, Capote, Genet, Beckett, Jarry, Tchekhov, Hampâté Bâ…

Installé en France depuis 1974, cet homme a beaucoup contribué au monde du théâtre. Sa pièce la plus emblématique de 1985 « Le Mahabharata » est une version de neuf heures du grand récit mythique indien qu’il a créé au Festival d’Avignon.

Il a fondé le Centre international de recherche théâtrale et il a restauré le Théâtre des Bouffes du Nord où de nombreuses pièces se sont produites.

Dans les journaux classiques, vous trouverez beaucoup de détails sur sa contribution au théâtre, il fut l'un des plus grands noms du théâtre contemporain mais Peter Brook, pour moi, c’est d’abord sa quête intérieure et son lien au maître spirituel Georges Ivanovitch Gurdjieff (1866-1949) sur lequel il a réalisé son film « Rencontre avec des hommes remarquables » en 1979 à partir du livre du même nom de G.I.Gurdjieff.

Sa recherche de développement spirituel l’a conduit à Londres, dans les années 1950-60, auprès d’une Américaine nommée Jane Heap, disciple direct de Gurdjieff. Jusqu’en 1964, celle-ci sera le « professeur » « aimable mais sans indulgence » de Peter Brook dans son long cheminement initiatique sur la « Quatrième Voie ».

Au début de son initiation, Peter Brook est résolu à ne pas mélanger un travail de quête spirituelle pour lequel il pense ne pas être suffisamment avancé et son activité théâtrale. Le metteur en scène poursuivant, toutefois, à prendre part à un groupe de travail se revendiquant des enseignements de G. I. Gurdjieff.

En 1961, il part en Afghanistan, accompagné de sa femme et d’un couple d’amis, tous quatre élèves d’un groupe Gurdjieff. Ce voyage est une étape cruciale qui va l’amener en 1964 auprès de Mme de Salzmann à Paris pour y suivre les enseignements de l’héritière directe de Gurdjieff et « prendre un nouveau tournant ».

Rencontre avec des hommes remarquables

« Rencontre avec des hommes remarquables » est un film spirituel à voir (et à revoir !) sur le mystique Gurdjieff, ses voyages initiatiques en Orient (c’est filmé en Afghanistan) et c’est un témoignage vivant de sa recherche intérieure.

On y découvre le soufisme et les fameux mouvements dits de Gurdjieff ou danses sacrées qui ont influencé des générations d'hommes et de femmes à travers le monde pour apprendre à se centrer et à intégrer la méditation dans le quotidien.

Comme l’écrit Amiyo Devienne : "Georges Ivanovitch Gurdjieff était à la fois un mystique, un écrivain, et un des plus grands Maîtres de danse de Temple. Il naquit en 1866 dans le Caucase, une région traversée par de nombreuses cultures et religions, ce qui a éveillé sa curiosité, à partir d’un très jeune âge. A 20 ans, il débuta un voyage de 20 années, en Moyen Orient, en Asie Centrale, dans le désert du Gobi, au Tibet, en Inde, en Egypte, cherchant à découvrir le but de l’existence humaine. Il visita monastères, temples et écoles ésotériques où il entra en contact avec de nombreuses formes de danses et de musiques sacrées. A son retour, sa mission fut de les exposer au monde moderne.
Il développa environ 250 Mouvements ou Danses, en collaboration avec De Hartmann pour la musique.
Gurdjieff a vécu à Paris de nombreuses années et il est enterré au cimetière d'Avon en Seine-et-Marne.
"

Peter Brook expliquait lui-même en 2015 à propos de son film : « Tourné en 1977, ce film serait aujourd’hui impossible à réaliser dans les conditions exceptionnelles dont nous avons pu alors bénéficier. Mes premiers voyages à Kaboul m’avaient convaincu que la merveille de l’Afghanistan tenait aux gens, à la finesse invisible de leurs relations. Alors que je découvrais la ville, la phrase du tout premier Anglais qui visita Kaboul me revint à l’esprit :  J’ai trouvé, écrivait-il, les restes organiques d’un monde antique.  Et de fait, durant ces sept semaines de tournage en Afghanistan, nous avons été saisis par l’intensité de ce pays isolé et méconnu.
C’est la présence et la justesse du jeu de dizaines de figurants et d’acteurs afghans qui permit de concrétiser nos espérances : les visages, la présence et le jeu des acteurs devenaient le réflecteur de l’invisible. La sensibilité de l’interprétation d’acteurs comme Terence Stamp nous rapprochèrent du but poursuivi.
La musique, patiemment mise au point et brillamment orchestrée par Laurence Rosenthal et Alain Kremski nous transporte vers un autre univers.
Il nous fallut plus de trois ans pour finaliser « Rencontres avec des hommes remarquables ».
Que ce soit au théâtre ou au cinéma mon travail tourne toujours autour d’un même impératif : rendre le visible plus transparent afin que l’invisible apparaisse.
Quarante ans plus tard, cette nouvelle version du film est plus courte et plus légère. Grâce au travail de simplification, on suit le récit d’une manière plus claire. Nous sommes heureux que ce film puisse atteindre un nouveau public, qui pourra être touché par le sens profond de ce récit comme nous l’avons été nous-même.
"

Voici un extrait du film :



Au cours de sa vie, Peter Brook a été influencé et profondément touché par George Gurdjieff, ce mystique et maitre authentique que beaucoup de gens ne comprenaient pas, qui avait compris que seule la méditation pouvait élever notre niveau de conscience et nous permettre d’atteindre la véritable maitrise intérieure.

Le maître Osho explique que Gurdjieff avait l’habitude de dire que tout homme ne naît pas avec une âme.
"Au premier abord cela n’est pas croyable puisque pendant des siècles il vous a été dit par les prêtres que tout homme naissait avec une âme et tout le monde l’a cru.
C’est très confortable de croire que vous avez une âme. Ça paraît très bien, douillet, réconfortant, que profondément en vous, vous ayez une âme, éternelle, immortelle !
Et Gurdjieff dit qu’en fait vous n’avez pas d’âme du tout !
À l’intérieur, vous êtes tout simplement… vide ! Il n’y a rien à l’intérieur de vous, juste des habitudes et encore des habitudes… un tas d’habitudes, et au centre lui-même, il n’y a personne!."

Gurdjieff est bien sûr inséparable d’Ouspensky, son principal disciple qui a permis de faire mieux connaître ses enseignements en Occident. Le livre essentiel à lire à ce sujet est celui d’Ouspensky : Gurdjieff et les Fragments d’un enseignement inconnu.

Le but de ce qu’ils appellent la Quatrième Voie est donc de se libérer du pouvoir de nos automatismes et de notre inconscience et de revenir à l’instant présent.

danses de Gurdjieff

Peter Brook croyait que rien ne devait être pris pour acquis, que tout devait être remis en question et que la collaboration avec les autres était vitale. Comme il l'a dit au Times en 1998, "Je suis prêt à nier mon opinion, même d'hier, même d'il y a 10 minutes, car toutes les opinions sont relatives."

Peter Brook avait présenté en 2018 à l’âge de 92 ans une nouvelle pièce inspirée d'un vieux voyage en Afghanistan, "The Prisoner" au théâtre des Bouffes du Nord à Paris. Peter Brook y renoue non seulement avec un souvenir - il avait été marqué par son voyage en Afghanistan où il avait rencontré des soufis avant l'invasion soviétique -  mais aussi par le mystique Georges Gurdjieff.

La journaliste Fabienne Darge écrit dans son article dans le journal Le Monde : "Peter Brook, pourtant, détestait qu’on le prenne pour un gourou, et qu’on lui demande quel était le lien entre sa connaissance et sa pratique des philosophies orientales, son goût pour l’ésotérisme et son travail avec les acteurs. Dans son loft lumineux de la Bastille, à Paris, vaste espace vide principalement meublé de tapis et de livres d’art, d’anthropologie, de philosophie…, son œil bleu laser se posait sur vous avec encore plus d’intensité que d’habitude, et il vous répondait que "l’être humain est le seul ésotérisme qui mérite d’être déchiffré ".

Elle cite aussi ces deux citations de Peter Brook dans un entretien réalisé en novembre 2010 :

« J’étais saturé de cette imagerie que j’avais tellement aimée, et je sentais de plus en plus qu’au cœur du théâtre, il y a une seule chose, qui est l’être humain, et donc l’acteur » …
« J’ai commencé à m’intéresser au développement intérieur, aux techniques basées sur les mouvements du corps, la respiration, pour arriver à faire sortir de la personne tout son potentiel. 
»

Le spectacle « Le Mahabharata » qui a été mis en scène par Peter Brook, avec une adaptation de Jean-Claude Carrière et de Marie-Hélène Estienne est aussi une contribution artistique et spirituelle où les personnages sont vulnérables, pleins de contradictions et totalement humains. Le spectacle a ensuite été raccourci en une mini-série télévisée puis en un film de 3 heures pour la projection en salles et la vente en DVD.
C’est l’histoire des Pandavas et des Kauravas, deux familles cousines en Inde qui se querellent pour savoir qui doit régner sur le monde. D'un côté Krishna, de l'autre une partie de sa propre armée dont il a accepté lui-même qu'elle soit dans le camp ennemi.
Cette guerre qui aurait eu lieu il y a environ 5000 ou même 7 000 ans aurait tué des millions de personnes ; on ne sait pas quelle technologie ils auraient utilisé (est-ce que leur civilisation était avancée ?) mais la guerre aurait été terriblement destructrice. Les Pandavas ont été "victorieux", les Kauravas se sont exilés dans l’Himalaya mais la morale de l’histoire est qu’ils ont tous fait face à la mort, à la destruction, au néant et que même la soi-disant victoire des Kauravas avait un goût amer, ils se sont rendus compte que cela n'avait au final aucun sens. N’est-ce par une leçon de sagesse qui est toujours vraie avec la guerre... est-ce que dans une guerre comme celle entre l'Ukraine et la Russie aujourd’hui n’amènera pas que de la destruction et de la souffrance pour tout le monde. A l'arrivée, les perdants sont des perdants mais les soi-disant gagnants ne seront-ils pas aussi des perdants !?

Le spectacle se termine par une autre vision du paradis, cette fois comme un lieu de musique, de nourriture, de conversation et d'harmonie. Le théâtre, a écrit M. Brook dans ses mémoires, devrait affirmer « que la lumière est présente dans les ténèbres » et être « un puissant antidote au désespoir ».

Peter Brook… c'est plus qu'un metteur en scène, c’est un des pionniers de la spiritualité laïque, un homme de méditation et il fait maintenant partie de tous ces « hommes et femmes remarquables » qui ont contribué à élever la Conscience humaine.

Gratitude. Fly High Peter!

Emmanuel Moulin

Pour en savoir plus sur Georges Gurdjieff
Danses sacrées et mouvements Gurdjieff avec Amiyo Devienne et Chetan Greenberg