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Rencontre avec une femme spirituelle

Paule Salomon

Paule Salomon

Interview réalisé par Georges Didier pour la revue REEL

Paule Salomon a beaucoup cherché. Sur les routes du monde d'abord, puis dans les bibliothèques, mais surtout à l'intérieur d'elle-même. Elle nous ouvre aujourd'hui son coeur, comme un livre vécu. Rencontre avec une femme spirituelle.

Réel : Pourquoi écrivez-vous : "à l'histoire des peuples succède l'histoire des individus ?"

Paule Salomon : Je fais partie de cette génération de 68 qui a d'abord voulu s'engager socialement et qui ensuite s'est tournée vers la transformation personnelle. Depuis, je n'ai cessé d'avoir une sorte de foi intérieure dans une optique plus immanente. J'ai découvert un sens à la vie, une appartenance à la grande Conscience.
J'avais lu "La condition humaine" d'André Malraux où il était écrit que la conscience est en évolution dans l'humanité et que chaque personne peut apporter sa contribution. Cette pensée porte l'espérance d'un monde différent. Cela peut paraître une utopie mais quand on se met au travail comme je l'ai fait, on s'aperçoit que, goutte après goutte, ce chemin est plus profond et plus nourrissant qu'on n'avait jamais osé l'espérer. La transformation de la conscience est portée par chaque peuple mais d'abord par chaque individu qui devient un héros de l'aventure intérieure et porteur de légende personnelle.

Vivre à fleur de soi, qu'est ce que ça veut dire ?

P.S : C'est la découverte progressive que les cinq sens sont des éléments d'une ouverture spirituelle. Héritière du catholicisme, j'étais au départ dans une pensée où le fait d'entretenir une ascèse sur les sens donnait accès à la spiritualité. J'ai découvert l'inverse. Plus je permettais aux différents sens de s'épanouir en moi, plus je leurs donnais de l'importance et de la profondeur, et plus je me libérais.
Vivre à fleur de soi c'est cultiver le paradoxe qui fait que l'apparence conduit à la profondeur. Devenir toujours plus sensible et plus frémissant. L'attention à l'ouverture de la conscience en chacun d'entre nous permet de se vivre comme des instruments de musique de plus en plus raffinés qui peuvent jouer avec d'autres d'une manière plus harmonieuse. Vivre à fleur de soi c'est devenir un être de vibration. La transformation est tout d'abord psychologique, puis elle devient énergétique et vibratoire. L'ouverture d'un être consiste à se comprendre, se connaître mais aussi, à partir d'un certain moment, à devenir une sorte d'antenne frémissante dans l'univers.

Et c'est combiner le masculin et le féminin ?

P.S : Il y a effectivement un stade du ressenti où nous ne sommes plus du masculin où du féminin mais au-delà de ces deux mots. Nous ne sommes plus seulement de l'actif ou du réceptif.

Nous sommes quoi ?

P.S : Je travaille sur l'émergence d'un troisième terme, par le mariage du couple intérieur. Nous sommes une réalisation nouvelle, un archétype plus paisible au moins à cinquante pour cent et plus subtil, plus heureux. Cette éclosion universelle n'est pas réservée à une élite, elle commence à s'adresser à tous.
Quand on travaille avec un groupe, on voit très bien, éclosion après éclosion, fleur après fleur, qu'une personne peut s'ouvrir à quelque chose de vaste en elle qui n'est pas une croyance mais une sensation. La conscience et la spiritualité ne sont pas limitées à une croyance intellectuelle ou à une façon de penser mais se traduisent par un état du corps et un état d'être. A ce moment-là on n'est plus ni réceptif, ni émetteur, mais un troisième terme qui concerne la plénitude de l'être, que j'appelle parfois l'état de "l'enfant-soleil". On n'a pas beaucoup de mots car il s'agit d'une démarche laïque qui n'a pas été répertoriée, qui n'est pas un instrument de pouvoir. C'est un chemin de communication et de partage avec une composante extatique.

Pourquoi dîtes-vous que la blessure a un sens spirituel ?

P.S : La blessure me rend plus humain. Elle me fait plonger dans le partage. Elle me rend plus vulnérable donc plus accessible. Il n'existe pas d'humanité sans blessure. On pourrait dire que naître est une blessure.
Réel : Naître, c'est avancer vers la différenciation où avancer vers la fusion ?
P.S : Naître, c'est naître à la différenciation, mais en même temps, c'est plonger dans le partage de l'univers comme un acte d'élancement dans le grand tout, comme un partage plus vaste. On ne quitte jamais vraiment le fusionnel. Je trouve que c'est une sorte "d'erreur psychologique" que de diaboliser ce "fusionnel" de façon un peu indifférenciée en répétant : "Il ne faut pas être fusionnel !" Les gens qui s'aiment, se disent : "Mon Dieu, il ne faut pas que je sois trop fusionnel !". Le fusionnel est quelque chose que nous recherchons toute notre vie et je crois même que l'évolution conduit à oser de plus en plus le fusionnel.

Comment deux libertés peuvent-elles se fondrent l'une dans l'autre dans un fusionnel conscient ?

P.S : C'est quelque chose d'assez nouveau comme pensée et comme formulation. Je propose de retrouver un fusionnel conscient, un fusionnel de deuxième naissance quand on a fait un tour de spirale, quitté ses archaïsmes et marié au moins à cinquante pour cent le masculin et le féminin en soi. Ce nouveau fusionnel naît sur le plan amoureux par la rencontre de deux libertés qui n'ont plus peur de se perdre dans l'autre et qui osent davantage l'unité, la dimension mystique, la communion. Evoluer ce n'est pas passer du matériel à l'immatériel. Ce n'est pas une désincarnation. J'ai souvent eu l'impression en allant voir des maîtres spirituels, que d' aller du plus lourd au plus léger, du plus dense au plus immatériel était le sens de la vie et de la conscience.

En tant que femme je ne ressens pas cela. La spiritualité demande aujourd'hui quelque chose de plus féminin, que le "oui" à la vie s'épanouisse, s'incarne et épouse le mouvement vivant. La fusion n'est menaçante que parce qu'elle peut nous enfermer. Le moment de fusion, que ce soit sur le plan des corps où sur le plan des âmes, est quelque chose de merveilleux. Nous le cherchons tous.
La confiance que l'on peut trouver en soi permet de se lâcher davantage et, lorsque les personnes partagent un niveau vibratoire plus élevé elles vivent des états modifiés de conscience aussi bien dans l'amour physique que dans la rencontre plus immatérielle. Une forme de communion devient possible. Nous n'évoluons pas pour partir seul sur la montagne, mais sans l'évolution, l'amour reste une espérance qui ne s'incarne pas. Je peux aller voir une cascade et rester extérieure à elle. Je peux l'intérioriser et devenir la cascade. Il y a une façon d'être au monde qui nous rend plus communiant. Sur le plan des hommes et des femmes, la rencontre devient celle de deux présences en voie d'ouverture l'une à l'autre. Beaucoup de personnes sont ensembles mais extérieures l'une à l'autre. Il ne se produit pas l'alchimie qui ressource et l'amour reste une soif jamais étanchée.

Vous rêvez d'un couple éclairé ?

P.S : Un couple éclairé a un très grand désir de se rencontrer. Mais entre ce désir et la réalisation le mental s'interpose.

Mais le mental vient bien de la nécessité de dire "non" à l'englobement maternel ?

P.S : Bien sûr ! Je sors d'un séminaire sur le conflit. Le conflit a commencé pour chacun d'entre nous par le "non" à l'englobement maternel. Certaines personnes sont depuis longtemps adultes par l'âge mais n'ont pas encore dit ce "non" et leur vie pèse terriblement, ce sont des éternelles petites filles ou des éternels petits garçons. Après le "non" à l'englobement maternel, vient le "non" à la domination de l'autre puis le "non" à l'entretien des conflits à l'intérieur de soi. Les éternels révoltés ont donné de grands artistes, mais c'est invivable sur le plan personnel et ce blocage dans la révolte se paye au prix de beaucoup de souffrances.

Et le non à l'ombre !

P.S : Ce n'est pas un "non" à l'ombre, mais un "oui" car il va falloir oser se mettre en cause, oser reconnaître que "ce qui m'énerve le plus chez l'autre, c'est d'abord ce qui m'énerve le plus chez moi", oser se mettre en face de ses propres limites et de ses zones d'intolérance et puis, à partir de là, entrer dans le démembrement, le doute, le questionnement.

Par exemple ?

P.S : La conscience, en se creusant, a tendance à intérioriser l'ombre. Dire : "le problème est chez moi" demande de faire attention à ce que ce processus ne devienne pas une auto-accusation permanente et une façon de se détruire subrepticement au goutte à goutte. Le voyage dans l'inconscient peut être une source d'affaiblissement, de dépression et de tourments. Tous les tourmentés romantiques faisaient le va-et-vient entre la révolte et l'intériorisation.
Dans l'identité masculine, un homme évolué qui ose passer par la féminité d'être, peut aussi affronter les enfers de son inconscient représentés par le démembrement d'Osiris. Le trajet de la femme dans la quête d'identité passe par la mise en route de l'actif, le rassemblement des morceaux et l'érection d'un nouveau pénis qui est aussi le sien.

Quel est le remède pour ne pas se faire trop capter par la dépression ?

P.S : Dans les cabinets des psychothérapeutes on peut voir des hommes dépressifs qui abordent leur vulnérabilité en termes d'affaiblissement et de mal-être. Le changement de l'identité masculine n'en est qu'aux premiers balbutiements. Que va-t-il se passer ? Ce ne seront pas seulement les femmes qui devront accompagner les hommes comme Isis accompagnait Osiris. C'est tout le féminin de l'être des hommes qui devra aussi être présent à ce passage. Ce qui laisse entrevoir une solidarité toute nouvelle entre les hommes. On peut espérer que les docteurs de l'âme sauront être compatissants vis-à-vis de leurs congénères masculins car ils auront, eux aussi, traversé ce stade.
Cette question arrive aujourd'hui dans une civilisation qui n'est pas du tout portée à l'accueillir. La défaillance n'est pas bien considérée. Mais les tabous se lèvent. Les chemins de liberté continuent à apparaître même si les chemins de régression ressurgissent aussi.

Peut-on, ou doit-on faire complètement la paix ?

P.S : Ma réponse est oui. Et tout commence pour un adulte par l'assainissement de ses bases parentales.

On peut ?

P.S : Je suis très pragmatique : nous avons besoin d'accepter nos parents, d'aimer la réalité de nos parents. L'adulte doit décrypter quels ont été ses traumatismes, oser se les avouer et ne pas magnifier ses parents dans cette sorte de pensée magique qui voudrait qu'il ait eu les meilleurs parents du monde et qu'il ne faille jamais les accuser. Il faut oser la lucidité sur son enfance et presque la haine vis-à-vis de ses parents si c'est un moment nécessaire. Mais assez rapidement nous pouvons opérer le retournement et nous apercevoir aussi que quoiqu'ils aient fait, nous pouvons accepter nos parents comme ils sont et non pas nous croire tout puissant pour les changer ou leur faire expier ce qui éventuellement a été douloureux pour nous. S'il y a encore des comportements réactionnels, nous pouvons chercher la bonne distance, filtrer les contacts, etc.
Mais quoiqu'il en soit, plus je vais pouvoir les accepter, plus je vais pouvoir grandir. Ils sont mon terreau d'origine et je ne peux pas refuser ma terre natale. C'est celle de ma confiance. Le fait que j'accepte d'ouvrir mon cœur à ce que mes parents sont, me permet de continuer mon chemin d'ouverture du cœur. Je vois des personnes qui restent clivées dans une rancune tenace. Elles se font énormément de mal. Il me paraît essentiel de les aider à lâcher leur os de rancune. Cette seconde naissance constitue le piédestal pour pouvoir progresser et grandir. J'ai vu des "arrêts sur image" de personnes qui ont creusé en psychothérapie et ne sont jamais parvenues à sortir de leur rancune.

Tout désir est un désir de soi ?

P.S : Au-delà d'un désir de soi c'est un désir du Soi. Cette magnifique formulation représente l'essence du tantrisme. C'est un désir d'être. Comment, dans ma vie, vais-je parvenir à coïncider à nouveau ?

Avec qui ?

P.S : Avec l'univers, avec l'existence. A la fois j'existe, à la fois toute ma vie je vais tenter de coïncider davantage avec l'existence.

Mais peut-on s'identifier à l'existence ?

P.S : Il y a des moments exceptionnels où ça se passe. Quand on a vécu une fois dans sa vie ce sentiment d'unité, on n'a pas de doute. On peut l'avoir eu très tôt dans son enfance, le retrouver par éclairs brefs au cours de sa vie et le stabiliser toujours davantage en soi. Cette expérience peut laisser comme une nostalgie - ce qui n'est pas très facile pour certains êtres qui ont alors des difficultés à s'incarner. Ensuite cela cesse d'être une nostalgie pour devenir une force intérieure et même si la coïncidence n'est pas là, la certitude, l'espérance prennent le relais.

Cette espérance de la coïncidence, est-ce la sortie de l'esclavage ?

P.S : L'élan fusionnel inclut la liberté et ce paradoxe vivant ne peut se découvrir que par un parcours d'évolution. On traverse la domination, l'exploitation de l'autre, le conflit, l'identité bloquée du masculin et du féminin. Il me paraît vain d'aspirer à la réconciliation intérieure sans sortir de ces archaïsmes. Comme le petit Poucet qui sème des cailloux sur la route, je propose un chemin, une spirale d'évolution. Ce n'est peut-être pas le seul chemin, mais c'est celui que je connais : on part du fusionnel, on y revient mais ce n'est pas le même fusionnel.

C'est un fusionnel éclairé ?

P.S : C'est un fusionnel conscient, plus éveillé qu'éclairé et qui n'emprisonne pas. Je suis dedans, je suis au centre. A partir d'un certain moment je suis assez proche du Soi pour être nourri et dès que je m éloigne, je ressens de la souffrance. Pourtant je peux à la fois savoir quelle est cette dimension de l'être et du Soi et la perdre. C'est comme si j'oubliais qu'elle existe... et au moment où je la retrouve, quelle évidence !
C'est une boussole. Dans la spirale que je propose, on voit bien que l'on peut être tenté de s'éloigner de soi puis de s'en rapprocher. Les handicaps de comportement qui peuvent être destructeurs se situent à la périphérie. Plus je suis à la périphérie de moi-même, plus je me détruis dans le fusionnel, le dominant/dominé et ce masculin/féminin archaïque. Plus je me rapproche du Soi, plus j'apprends à gérer ces forces de façon positive pour mon être et moins je ne me décentre. Voir le dessin de la spirale permet de mieux comprendre la notion de centre.

Pourquoi dîtes-vous qu'il y a une féminisation de l'être ?

P.S : Je pars en Inde pour travailler avec des hommes et des femmes sur la féminisation de l'être. Plus un être, homme ou femme, avance vers lui-même, plus il fait entrer de la lenteur, du réceptif, de l'accueil, de l'harmonie et de la luminosité dans sa vie. Cette réceptivité correspond à la conformation du sexe de la femme, c'est le sens de la coupe. Elle contient et reçoit. L'épée c'est ce qui conquiert et pénètre. J'ai besoin dans ma vie de ces deux dimensions, pénétrer et accueillir. Mais plus je me dirige vers la partie spirituelle de mon être, plus j'ai besoin de rentrer dans le réceptif. Ce qui rejoint aussi une dimension du féminin : le "jouir". On dit que l'archétype du grand guerrier se méfie de la femme parce qu'elle l'invite à jouir du présent alors qu'il veut construire l'avenir en termes de guerre et de territoire. Cette invitation à jouir de l'instant appartient à la coupe.
Plus on avance vers l'aspect spirituel de la vie plus on développe ce féminin. J'ai une petite statue chez moi, sans valeur, qui vient de Thaïlande mais qui montre bien cet aspect. Un homme porte une femme sur ses épaules et son féminin le guide. J'ai l'impression, que dans mon androgynat bien vécu, je suis en train de retrouver davantage en moi ce féminin de la coupe qui n'a pas besoin de grand-chose parce qu'il y a beaucoup de bonheur à être là.

Propos recueillis par Georges DIDIER