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Réenchanter la vie
Rencontre avec Paule Lebrun, fondatrice de HO Rites de Passage
par Sylvie Lauzon,
(extrait d’article paru dans le magazine VIVRE, vol.16, No6, juillet-août 2017 )
Être des voyageurs de passage et posséder un corps pour se mouvoir dans ce monde-ci est une aventure extraordinaire. Nous l’oublions constamment. Les rituels et plus particulièrement les rites de passage n’appartiennent pas au royaume de la psychologie. Ils nous rappellent que passé le « métro boulot dodo », l’Aventure de vivre est constamment à nos portes et que notre grandeur et notre vastitude sont intactes.
Paule Lebrun
SOUL’S WORK
Vous dites que les rituels et les célébrations sont d’importants moteurs de changement personnel et social. Ils peuvent même parfois agir là où la médecine et la psychothérapie ne sont plus utiles. Pouvez-vous nous en parler ?
J’ai aimé le travail de psychothérapie, mais ça me confinait dans quelque chose de trop étroit pour moi. J’aime définir le travail rituel tel qu’on le décrivait parfois autrefois, comme une sorte de « soul’s work ». Un travail d’âme. Notre job à nous, ritualistes, consiste à fabriquer de l’âme culturelle, de l’âme individuelle. Pour parler de l’âme, qui reste dans nos sociétés un mot flou souvent associé à la religion, j’aime évoquer par analogie le « soul » dans la musique de blues. Le soul, le ressenti. Toute la culture est en manque de « soul » de ressenti actuellement. L’idée de « fabrication » rituelle a quelque chose d’artisanal, elle suppose un travail patient, une attention soutenue, du soin et cela a souvent à voir avec la Beauté. Pas une beauté factice. Pas de la poudre de perlimpinpin. Cela permet de dévoiler la Beauté à l’œuvre dans le monde.
De quoi se nourrit l’âme humaine?
L’esprit humain se nourrit d’idées, de pensées, de réflexions. L’âme se nourrit d’images de silence, de beauté, de cérémonies, d’histoires, de nature, de proximité avec les mystères de la vie, de chants, de danses, de musique, de participation collective et cosmique. Je dirais que c’est plus musical ! En ce sens, notre travail est beaucoup plus près de l’art que de la thérapie. C’est un travail poétique qui crée de l’Éros dans le monde, qui nous rend soudain conscient encore et encore de la splendeur de l’existence elle-même.
FORMER DES PASSEURS, OFFRIR DES QUÊTES DE VISION
En quoi consiste votre formation de passeurs ?
Nous sommes tous des héros de passage. Cela prend des gens plus âgés, des passeurs, qui aident les héros à traverser mille fois la rivière. Cette formation de praticien en travail rituel est le joyau de HO. Elle se fait sur un, deux ou trois ans à raison de 30 jours par année. Elle propose un modèle cosmologique d’intervention à mille lieues de la psychologie ; elle contribue à générer de la joie collective tout en ne négligeant pas l’ombre inhérente aux démarches spirituelles et au leadership de groupe. Elle est basée sur le modèle de Psychologie sacrée de Houston et les apprentissages y sont avant tout cellulaires. « I just love it ! » Elle vise à repenser les rites sociaux actuels qui, souvent, sont désuets (funérailles, mariages, naissance), à réintroduire les rites de passage dans la société et à inventer de nouvelles formes entre tradition et création.
J’aimerais que vous puissiez commenter cet extrait du journal d’une personne qui vit une quête de vision :
« Je suis sans peur et sans défense, état que je n’ai jamais expérimenté. Sans peur pour la féroce nature, pour ma nature féroce. Et trop faible pour maintenir mes défenses. Je n’ai plus cette résistance contre la mort qui demande tant d’énergie. Je me repose. Pure love. Je comprends tous les bébés naissants du monde. Ce matin, j’ai passé plus d’une heure à marcher avec cette horde d’enfants noirs affamés que nous laissons mourir. J’étais l’un d’eux. Quelle fonction obscure ont-ils sur cette planète? Je me sens si ouverte que j’en suis vide. Je suis un miroir. Le pin me regarde. Je suis ce que je vois. Ce rocher est-il en dedans ou en dehors de moi? Oh, n’oublie pas ce moment quand tu reviendras. »
L’expression « Quête de Vision » provient des anthropologues anglais qui documentaient un rite Lakota (Sioux). Les Indiens Sioux nomment ce rite Hamblechya, ce qui veut dire : « pleurer pour une vision ». C’est une cérémonie sacrificielle, une mise en scène grandeur nature de l’art de mourir et de renaître. Si le rite est amérindien, le fait de se retirer dans un endroit éloigné pour régénérer une âme fatiguée n’est pas le propre d’une culture ou d’une autre. On doit se rappeler que Jésus a fait sa quête de Vision, tout comme Bouddha a fait sa quête de vision.
La quête de vision est pour moi l’une des expressions les plus achevées du rite de passage. Le rite de passage est en fait une dramatisation de l’acte de mourir, une mise en scène grandeur nature de la mort et de la renaissance. Le rite de passage tel que nous le proposons se déroule sur une dizaine de jours dont trois de solitude dans la nature.
Pendant ces trois jours, l’aspirant se retrouve seul dans la nature sauvage, le plus dépouillé possible, comme dans un utérus symbolique. Trois jours complets sans manger. Il s’agit d’un passage difficile puisque l’action combinée du jeûne, de la solitude, de la nature, du manque de confort et le sens du danger projettent la personne hors des sentiers fréquentés. Seul en pleine nature, les outils habituels ne sont d’aucune utilité.
Du point de vue des rites de passage, quand l’envie de mourir se manifeste dans nos vies, c’est toujours un appel de l’âme, dans son propre langage qui dit : « Entends-moi. Laisse partir ta vieille peau. Je suis mure pour quelque chose d’autre. » Et ça urge !. »
Ce lieu de pouvoir devient pour ainsi dire une tombe, un utérus symbolique où l’aspirant va laisser se liquéfier sa vieille identité et laisser le nouvel « Homme », la nouvelle configuration apparaître telle la chenille émergeant de la chrysalide. Sur le plan physique, c’est un espace de survie en nature sauvage. Sur le plan mythologique, c’est un espace magique où l’action combinée du jeûne, de la solitude, de la nature sauvage et aussi d’un certain danger ouvre les portes de la perception. Sur le plan spirituel, c’est une expérience d’unité, de paix, de Présence. Cela répond au besoin de tout être humain de retourner régulièrement au chaos pour se régénérer et prendre des forces. À travers le jeûne, le corps et l’âme tombent ensemble dans un même mouvement d’appel et de lamentation.
Une fois la faim et la résistance passées, on entre dans ce que les Indiens appellent un « temps de rêve ». Les barrières entre le conscient et l’inconscient deviennent plus poreuses. Le langage symbolique de l’âme peut enfin s’exprimer. On devient alors extrêmement sensible, on ressent intensément. Devant cette mise en scène de mort et de renaissance, l’inconscient a peur, puis graduellement il se détache, il s’ouvre ; il a peur à nouveau jusqu’à ce qu’il s’abandonne.
Ce retour à la nature sauvage vous paraît-il important ?
La nature est l’enseignante suprême que nous ne consultons plus. L’homme contemporain a besoin de retourner régulièrement à la nature sauvage ne serait-ce que pour contempler sa propre nature sauvage.
La quête de vision nous permet de nous rappeler que nous sommes des enfants de la Terre ; de nous rappeler aussi que nous sommes des créatures au même titre que les animaux. Cette humilité est bienfaisante.
« HO Rites de Passage » s'appuie sur les travaux de penseurs tels que Jean Houston, Carl Jung, James Hillman et Joseph Campbell. Comment est né ce projet ?
J’ai été en Inde quelques années dans une École de Mystères qui a chambardé toute ma conception de l’existence, m’a mise au monde une seconde fois et a allumé une flamme dans mon cœur. J’y ai reçu un grand cadeau que je formulerais ainsi : « La vie n’est pas un problème à résoudre, mais un mystère à vivre ». Mine de rien, on se trouve ici en face d’un changement radical de paradigme, surtout pour moi qui venait du monde de la psychologie. J’ai pour ainsi dire basculé personnellement dans ce paradigme-là. J’avance dans ce mystère. Je marche le mystère de ma vie. Et je rends les fruits reçus. HO Rites de Passage est, d’une certaine façon, un grand merci. Oh, merci pour ce cadeau !