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HOMMAGE A SAYD BAHODINE MAJROUH

SAYD BAHODINE MAJROUH

Poète soufi et philosophe

Juste avant d'avancer sur le chemin chamanique, grâce auquel j'ai enfin trouvé une forme d'expression et de vie qui me convient, j'ai passé quelques années très riches avec un maître Soufi, Omar Ali Shah, aujourd'hui parti pour un autre monde. J'ai gardé pour cette philosophie un grand respect et une grande tendresse. Cette philosophie à pour grand avantage de mener l'être qui le désire à tendre vers une relation intime avec la divinité. Dans le chamanisme je tends à cette relation intime avec le « Tout » et avec les énergies qui nous entourent, d'aucun diront que ce n'est pas éloigné et ils auront raison.

Nous entrons dans un moment où il me semble sain de pouvoir constater ce qui se passe autour de nous et nous centrer pour savoir où nous en sommes et comment nous désirons avancer afin d'ouvrir notre regard et nos comportements vers plus d'harmonie et d'échanges. Le texte dont je vais parler nous met dans le centre de ces questionnements tout en restant ancré dans notre vie actuelle avec ce qu'elle comporte d'absurdités et surtout, ce texte distille, tout au long, un message d'amour et d'harmonie possibles.

Notre périple nous a mené sur la route de Lionel Tardif qui réunit un parcours d'écrivain, de cinéaste, d'enseignant en cinéma, d'organisateurs de colloques, être axé sur la conscience et la spiritualité. Entre autre passions il connaît parfaitement l'Inde, s'intéresse aux différents courants scientifiques, philosophiques et mystiques, ce qui l'a conduit à écrire une pièce en trois volets : « Voix Soufies à Travers le Temps ». Cette trilogie de trois heures et plus relate les parcours de Hallaj – 9ème siècle, Rumi 13ème siècle et Saïd Bahodine Majrouh*, 20ème siècle. Tous trois Perses. Hallaj mystique parcourant le monde, finira sa vie torturé et tué en Irak à Bagdad, Rumi fuyant enfant avec sa famille l'invasion mongole trouvera refuge à Konya en Turquie et sera le fondateur des Derviches Tourneurs, quant à Majrouh, Afghan, notre contemporain, il sera assassiné par les fanatiques en 1988 alors qu'il était en exil à Peshawar au Pakistan.

C'est de ce dernier dont je vais vous parler, de Majrouh et surtout de son langage :

Comment allier la mystique Soufie la plus profonde à la révolte la plus légitime lorsque son pays est non seulement occupé par les soviétiques, mais est le centre d'une guerre de pouvoirs et ensuite, après le départ des soviétiques, le lieu où les « résultats » des guerres de pouvoirs accouchent de rejetons sous la couleur de l'explosion de la culture de la drogue ou de l'invasion du fanatisme religieux.

Majrouh entre au cœur de l'allégorie, il la pétrit avec force images et poésie. Son « Voyageur de Minuit », erre à la recherche de l'Être et, au cours de ses voyages, rencontre une ville envahie, envahie par un Ego Monstre. Ce voyageur, témoin, ira à la rencontre des enfants et de leurs regards lorsqu'ils sont encore hors manipulations, tentera d'éveiller les humains cloués dans leurs craintes et leurs soumissions… :

« En lieu et place de ses vestiges se dressait une ville dont la renommée avait conquis le monde. On s'y rendait en traversant l'immensité des prairies les plus vastes, des forêts les plus denses, des monts et des vallées brassant leurs fleurs sauvages, leurs lacs et leurs rivières aux ondes transparentes, leurs torrents fracassants descendus des hauteurs où rêve la neige bleue.
Chevaux en liberté par les herbes et le vent, cerfs, chevreuils, biches, troupeaux de grâce dans l'éclat des graminées, animaux sans frayeur qui venaient jusqu'au bord de la ville jouer avec les enfants et manger dans leurs mains : voilà ce que trouvait le voyageur, avec les trilles des oiseaux sous l'ombre des jardins.
En ce temps-là, on n'inventait pas la cage.
En ce temps-là la ville était sans porte.
En ce temps-là, on ne dressait pas muraille, on ne creusait nul fossé.
La ville était un parc ; la ville était fleurs, bosquets, maisons sobres, discrètes, agréables à l'œil, reposantes à vivre. …….

L'Ordre bouleversa tout.
On apprit à connaître une activité d'un type nouveau, qui fut nommée travail**. Jusqu'alors, on engageait une action par désir ; on la poursuivait par agrément ; on la menait à son terme pour le plaisir. On savourait la joie comme le repos, l'ouvrage exaltant comme l'œuvre accomplie. Le travail, en revanche, s'avéra d'emblée marqué du sceau de l'effort, du pénible, du rebutant ; entamé dans le non-consentement, il se déployait en souffrance et s'achevait par dégoût. Ainsi s'érigea le joug. Ainsi, la geôle dont l'humanité domestique n'a jamais su se libérer.
Sous la férule du Chef Illimité, il fallût bâtir murailles et hautes tours, creuser fossés, faire forteresse de la Cité, édifier en son sein un aberrant palais de marbre.
... Les enfants ne jouaient plus. Ils n'avaient plus permission de rire. Ils ne furent plus voyants. Ni les amants ne se promenaient entre bois et jardins. Il était à toute occasion interdit de... Interdit de s'amuser, de plaisanter, de sourire, de s'embrasser dans les bosquets. Interdit, tout ce qui déplaisait au Grand Conquérant. Et ce qui déplaisait par-dessus tout au Guerrier Invincible, au Conquérant du Monde, au Chef illimité, c'étaient les rires et les jeux, les cris joyeux et libres des enfants, les chants des oiseaux, les baisers des amants………..

Le Voyageur de Minuit aimait à se retirer, à s'isoler, se taisant des jours entiers.
Il se laissait captiver des heures durant par la grâce d'un feuillage. Il goûtait sa danse dans les bras de la brise. Il ne se lassait pas du chant des oiseaux.
Il était fou, évidemment.
Certains pensèrent à l'enfermer.
D'autres s'y opposèrent. Il était fou, pour sûr, mais nullement dangereux ni susceptible de faire du tort à quiconque. Il divertissait les enfants et les simples. Et puis, il contait bien, le Madjnoûn : ses histoires, ses délires de fou déclenchaient l'hilarité.
Seuls les enfants étaient attentifs au fil secret de ses récits.
Seuls, ils écoutaient avec l'âme.
Seuls, ils trouvaient un sens où les autres riaient. »***

Le langage de Majrouh entre en résonnance avec notre enfant intérieur. Lorsque je dis « enfant » je ne parle pas simplement du petit qui grandit, je parle de cette portion de nous qui reste vraie face aux excès qui nous entourent et face aux excès dans lesquels nous sombrons. Oh, nous passons du temps à la mettre en cage cette partie, nous la faisons vite taire de peur de ne pas être reconnu par nos concitoyens, mais rien, rien au bout du compte ne peut vraiment la faire taire même si notre éducation nous pousse à en avoir honte, à nous la cacher…

Et c'est là que je retrouve la voix chamanique. Cette connexion avec l'esprit des arbres et des plantes, des animaux, cette sensation de faire partie d'un monde qui ne désire qu'une chose : nous voir entrer en harmonie intérieure et en harmonie avec lui.

Je pourrais vous parler des heures et des heures de ce langage, moi pour qui la poésie était souvent devenue source d'ennui et qui s'est éveillée sous un jour nouveau en lisant dans les mots de Majrouh une prose qui ravive les images, réveille l'imaginaire et qui, tout en décryptant les rouages de la manipulation, reste toujours habitée d'espoir en l'humanité.

Olga Brix

* Lorsque vous lirez ceci, nous aurons joué le troisième volet de cette trilogie, « Ego Monstre, ou le voile sur l'Amour » au nord de Vendôme et nous espérons bien tourner avec.

** Selon Alain Rey, le mot travail (apparu vers 1130) est un déverbal de travailler, issu (vers 1080) du latin populaire tripaliare, signifiant « tourmenter, torturer avec le trepalium ». Sous l'Antiquité, le terme bas latin trepalium (attesté en 582) est une déformation de tripalium, un instrument formé de trois pieux, deux verticaux et un placé en transversale, auquel on attachait les animaux pour les ferrer ou les soigner, ou les esclaves pour les punir. (wikipedia.fr)

*** Tiré du premier volet d'Ego Monstre « Le Voyageur de Minuit ».
Le deuxième volume s'intitule : « Le Rire des Amants ». Tous deux traduits par Serge Sautreau.

A savoir :
L'œuvre majeure de Saïd Bahodine Majrouh en tant qu'écrivain est Ego-Monstre, un vaste conte spirituel voire mariant poésie et soufisme, dans lequel il attaque et déplore la tyrannie (dont le Monstre constitue l'incarnation) sous toutes ses formes.

Majrouh exprime et décrit la souffrance des peuples en proie au Monstre, ayant lui-même connu plus d'un visage de la tyrannie dans son propre pays. Par le truchement de paraboles, d'archétypes et de personnages symboliques, il exalte et plaide pour l'amour, la liberté et la beauté contre les affres de la cruauté, de la mégalomanie, de l'égoïsme et du néant.

Au fil des années, Majrouh s'est livré à un important travail d'écriture, de réécriture et d'adaptation d'Ego-Monstre : une première version rédigée en persan dari paraît en 1973, une seconde version rédigée en pashto en 1977, une traduction anglaise partielle de l'original dari révisé en 1984, puis la version française finale (quoique inachevée) à la fois réécriture et traduction du texte dari révisé. Le texte français fut publié à titre posthume en deux tomes (Le Voyageur de Minuit en 1989 et Le Rire des Amants en 1991) et a servi de base aux traductions en d'autres langues, dont l'arabe, l'italien et le danois.

Contact : Olga Brix : 02 54 76 29 98
voir son site sur le chamanisme :http://pluiedautomne.wixsite.com/monsite